Alors qu’elle fait partie des zones les plus touchées par le Covid-19, l’Île-de-France est l’une des régions qui compte la plus faible proportion de personnes vaccinées. Plusieurs élus estiment aujourd’hui qu’il faut élargir la vaccination aux plus jeunes, jugeant que la stratégie nationale n’est pas adaptée à la réalité de leurs territoires.
Après des semaines de tergiversation, le gouvernement s’est finalement résolu à reconfiner l’Île-de-France, le 19 mars à minuit, et ce pour une durée minimum de quatre semaines, afin de lutter contre l’épidémie de Covid-19.
Une décision lourde de conséquences puisque la région représente, à elle seule, près d’un cinquième de la population française et 30 % de l’économie du pays.
Pourtant, alors que le gouvernement se disait engagé dans une course contre la montre en misant sur l’arrivée des vaccins, la campagne de vaccination en Île-de-France a connu des débuts timides, depuis son lancement le 27 décembre 2020. Très touchée par le Covid-19, la région compte, selon les derniers chiffres, seulement 7 % d’habitants vaccinés, soit la plus faible proportion en France métropolitaine, bien loin derrière des départements comme les Alpes Maritimes (11,7%) ou la Moselle (11,85%).
Sur le terrain, plusieurs élus s’inquiètent d’une progression qu’ils jugent trop faible et appellent à adapter les mesures en ouvrant, notamment la vaccination aux moins de 60 ans.
Un enjeu démographique
Si la proportion de vaccinés en Île-de-France est plus faible c’est avant tout à cause de facteurs démographiques. La région est à la fois la plus peuplée et la plus jeune (79,5 % de moins de 60 ans contre une moyenne nationale à 73 %). Avec 860 000 personnes ayant reçu une première dose, l’Île-de-France est aussi la région qui compte, de loin, le plus grand nombre de personnes vaccinées en France. Pour autant, rapporté à sa population, le chiffre reste faible et plus de 9 millions des 12 millions d’habitants n’ont pas accès à la vaccination car trop jeunes.
“Beaucoup de personnes de plus de 75 ans ont déjà été vaccinées. Par ailleurs, elles restent davantage confinées, et à ce titre sont plus protégées que les actifs de moins de 65 ans”, estime le maire PCF de Stains, en Seine-Saint-Denis, Azzédine Taïb, contacté par France 24. “Le gouvernement nous dit que les doses arrivent, il faut donc accélérer la campagne de vaccination et l’ouvrir à un public plus jeune, car leur nombre augmente fortement dans les services de réanimation”, estime-t-il.
Vacciner les moins de 60 ans
Le maire de Stains n’est pas le seul à souhaiter élargir la campagne de vaccination, jusqu’ici réservée en priorité aux plus de 75 ans et aux personnes à risques. Anne Hidalgo, la maire de Paris, a appelé dimanche à “débrider la vaccination” à mesure que les livraisons de vaccins accéléreront.
Le maire de Saint-Denis, Mathieu Hannotin, ainsi que le président du département de la Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, vont également dans ce sens. “Alors que plus de 50 % des personnes de plus de 75 ans ont été vaccinées en Seine-Saint-Denis, selon les données officielles, nous appelons, ensemble, à ouvrir la vaccination à de nouveaux publics. D’abord pour baisser la pression sur le système hospitalier et réduire les formes graves, mais aussi pour casser les chaînes de contamination dans la population active, particulièrement en première ligne en Seine-Saint-Denis” expliquent-ils dans un communiqué commun le 19 mars.
Avec un taux d’incidence supérieur à 500 cas pour 100 000 habitants, la Seine-Saint-Denis est le département français qui connaît actuellement la plus forte progression de l’épidémie.
“Le taux d’incidence, comme la densité de population, sont des facteurs à prendre en compte dans une campagne de vaccination”, reconnaît le professeur Jean-Daniel Lelièvre, chef de service des maladies infectieuses de l’Hôpital Henri-Mondor à Créteil et expert vaccins à la HAS (Haute Autorité de santé), contacté par France 24. “Néanmoins les études sont très claires : l’âge reste le facteur majeur de risque et il faut être très prudent lorsque l’on souhaite faire évoluer la stratégie. Certes, il ne faut pas attendre d’avoir vacciné 100 % des personnes à risque pour élargir la campagne, mais toute la difficulté est de savoir quand passer d’une phase à une autre. Aujourd’hui, il est pour moi inenvisageable de vacciner des personnes jeunes et en parfaite santé, alors que j’ai encore dans mes services entre 800 et 900 transplantés, pour qui le Covid-19 est bien plus dangereux”, conclut-il.
Interrogé dimanche sur la possibilité d’ouvrir la vaccination au plus grand nombre, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal a fermement rejeté cette hypothèse, la jugeant“ irresponsable en terme sanitaire et “injuste” vis-à-vis des personnes fragiles.
Disparité de moyens
Enfin, outre la question démographique, la campagne vaccinale en Île-de-France se heurte à la grande disparité de moyens entre les départements. Alors qu’Anne Hidalgo se dit prête à ouvrir de manière plus large les 24 centres de vaccination parisiens si l’approvisionnement en doses le nécessite, certaines villes, plus pauvres, manquent toujours d’infrastructures.
“Le nombre de centres de vaccination en Seine-Saint-Denis demeure très insuffisant”, déplore Azzédine Taïb. “Depuis plusieurs mois nous demandons au gouvernement un centre de vaccination sur notre commune. Il devait ouvrir en février mais nous attendons toujours. Dans notre département, 19 villes n’ont pas de centre soit près de la moitié.”
Pour résorber ces défaillances, le département et l’Agence régionale de Santé d’Île-de-France souhaitent ouvrir, début avril, un grand centre de vaccination au Stade de France à Saint-Denis. Un “vaccinodrome” qui pourra accueillir chaque semaine plusieurs milliers de personnes. S’il salue cette avancée, le maire de Stains estime qu’elle ne réglera pas le cœur du problème. “Nous avons en Seine-Saint-Denis beaucoup de personnes fragiles pour qui il est compliqué de se déplacer pour se faire vacciner, même dans les communes proches. Par ailleurs, le sentiment de défiance reste fort vis-à-vis des vaccins et les centres de proximité ont un rôle essentiel à jouer que ne peut pallier un centre régional. À mon sens, la stratégie sanitaire actuelle n’est pas adaptée à notre situation.”
Selon les derniers chiffres de Santé publique France, 88 000 habitants de Seine-Saint-Denis y ont reçu une première dose de vaccin contre le Covid-19, soit seulement 5,5 % de la population, contre 10 % dans la capitale.
Un décalage d’autant plus important que, d’après la préfecture, la Seine-Saint-Denis a bénéficié d’une dotation en vaccins supérieure aux autres départements franciliens, du fait de l’incidence “élevée” et “des critères socio-économiques de sa population”.