En juin dernier, le métro parisien a été le théâtre d’une première mondiale. Pendant deux jours, des « éoliennes » souterraines y ont en effet tourné, permettant de générer un peu plus de 2000 Wh d’électricité. Une production certes modeste, mais qui se veut avant tout symbolique. Avec ces éoliennes d’un genre un peu particulier, ce sont en effet les énergies renouvelables – et les multiples moyens de les exploiter – qu’entendaient promouvoir les porteurs de ce projet.
S’il y a un lieu dans lequel on ne s’attend pas à croiser une éolienne, c’est bien à plusieurs mètres sous terre, dans les couloirs du métro… C’est pourtant dans la station parisienne de Miromesnil qu’un groupe industriel d’origine espagnol spécialiste des énergies renouvelables a choisi d’installer pendant deux jours six prototypes d’éoliennes, d’un genre un peu particulier. Contrairement à celles qui se dressent dans nos plaines et sur nos collines, ces éoliennes souterraines n’étaient en effet pas entraînées par le vent… mais par les usagers du métro eux-mêmes.
Mises en œuvre pendant deux jours en juin dernier dans la station du métro parisien de Miromesnil, les six éoliennes sont venues remplacer les traditionnels «tourniquets» d’accès aux quais. ©Julien Hay
« L’idée est née de la volonté de démontrer que l’énergie se trouve partout autour de nous et que les moyens alternatifs de la générer sont multiples » retrace Reginald Thiebaut, directeur général d’Iberdrola Énergie France, entreprise à l’origine du projet. « L’objectif premier pour Iberdrola était de sensibiliser le grand public à l’importance des énergies renouvelables dans notre mix énergétique à travers une expérience unique : créer de l’énergie grâce à un simple geste du quotidien tel que prendre le métro », ajoute le dirigeant. C’est en effet en remplacement des habituels tourniquets du métro parisien qu’ont été installées ces éoliennes uniques au monde.
De futurs ingénieurs impliqués dans le projet
Pour mener à bien ce projet, l’énergéticien Iberdrola a choisi de faire appel à un groupe d’étudiants de l’école d’ingénieurs lilloise Junia, comme l’explique son directeur général Reginald Thiebaut : « Il nous a semblé tout naturel d’impliquer des étudiants dans ce projet, car ce sont eux qui construisent l’avenir et qui en sont acteurs. Le partenariat s’est fait à plusieurs niveaux avec l’école, faisant intervenir des étudiants pendant un an dans le cadre de leur cursus, mais aussi la Junior-Entreprise de Junia avec un contrat de prestation ».
Une petite quinzaine d’étudiants de l’école lilloise a ainsi contribué au projet. Des étudiants de profils et d’âges variés. « Les cinq premiers étudiants impliqués étaient en cinquième année, d’autres en quatrième année, et j’étais pour ma part en troisième année », témoigne la cheffe de projet Gaëlle Le Borgne, étudiante à Junia HEI.
C’est à l’aide d’un volant d’inertie et d’un système d’engrenages appelé train épicycloïdal que les futurs ingénieurs sont parvenus à transformer en électricité le mouvement généré par les usagers du métro lors de leur passage du tourniquet. ©Julien Hay
Les futurs ingénieurs se sont ainsi répartis, en fonction de leurs spécialités et domaines de compétence, les différents travaux de conception à réaliser : mécanique, électricité, automatisme… « Les étudiants ont élaboré les éoliennes en privilégiant une conception la plus écoresponsable possible », souligne Reginald Thiebaut. « Nous avions une idée précise du design entre le tourniquet de métro et l’éolienne, il a fallu ensuite matérialiser l’objet puis concevoir le mécanisme à l’intérieur capable de récupérer l’énergie du passage des usagers », complète Jean Paoli, Directeur de la stratégie et de la création chez Weber Shandwick, qui a travaillé sur le développement de l’opération avec les étudiants. Un travail de conception qui s’est révélé un véritable défi pour les élèves ingénieurs lillois. Comment, en effet, générer de l’électricité à partir d’un mouvement, celui du tourniquet, limité à quelques fractions de seconde ? Gaëlle Le Borgne détaille la solution adoptée par les étudiants face à cette problématique : « Il a fallu réfléchir à un système permettant de faire tourner plus vite et plus longtemps le moteur générant de l’électricité. Nous avons opté pour un volant d’inertie, un disque épais et lourd, entraîné par la rotation du tourniquet. Il actionne à son tour un système d’engrenages que l’on appelle un train épicycloïdal ». Traditionnellement utilisé comme réducteur, ce dispositif mécanique peut en effet également, à l’inverse, permettre d’augmenter la vitesse de rotation du système auquel il est relié. De quoi ainsi faire tourner suffisamment vite le dispositif destiné à produire l’énergie électrique.
Une réussite tant sur le plan quantitatif que qualitatif
« Nous avons installé six tourniquets, reliés en série à des batteries. L’énergie générée a permis d’alimenter des écrans situés de part et d’autre des tourniquets », détaille Gaëlle Le Borgne. Et si l’énergie générée est loin d’être comparable avec les mégawatts que peuvent produire les éoliennes conventionnelles, le potentiel du dispositif n’en demeure pas moins intéressant. « En deux jours, 27 000 usagers ont permis de produire plus de 2 000 Wh. Cela peut sembler dérisoire, mais avec un déploiement sur l’ensemble du métro, on pourrait produire 150 MWh en un an et alimenter en chauffage électrique un foyer de quatre personnes pendant dix ans », calcule ainsi Reginald Thiebaut.
D’abord réalisées en PLA via un procédé d’impression 3D, les pales des éoliennes souterraines ont ensuite été réalisées en métal pour plus de résistance. ©Julien Hay
Outre les parties mécaniques et électriques, les étudiants lillois se sont consacrés à la partie visible – et sans doute la plus symbolique – du dispositif : ses pales. Des éléments indispensables en effet pour figurer ces « éoliennes » installées à plusieurs mètres sous terre. « Nous avons d’abord assuré toute une phase de modélisation 3D. Ensuite, nous avons réalisé une impression 3D en PLA, une matière plastique à base d’amidon, sauf que cela n’était pas assez résistant pour une utilisation en conditions réelles. Nous avons donc finalement fait fabriquer en métal les pales que nous avions conçues », explique la cheffe de projet Gaëlle Le Borgne.
Au-delà de l’aspect quantitatif de leur production électrique, les dispositifs mis en service pendant deux jours dans le sous-sol parisien ont aussi eu le mérite de susciter l’intérêt des usagers du métro de la Capitale. « D’un point de vue qualitatif, les résultats ont totalement dépassé nos attentes, les usagers étaient ravis de pouvoir participer à la production d’une énergie verte, sans aucun effort et sans rien changer à leur quotidien », assure en effet Reginald Thiebaut. « C’est une innovation intelligente, qui répond à des enjeux actuels majeurs et qui, d’après de nombreux usagers, devrait être déployée partout où cela est envisageable ! », ajoute le dirigeant.
Fabriqués tout spécialement pour cette action éphémère de sensibilisation, ces prototypes ont toutefois été conçus pour être durables et réutilisables, comme le souligne Jean Paoli : « les éléments qui composent le dispositif ont été pensés pour correspondre à des normes d’installation dans le métro, et notamment des contraintes de résistance ».
Suite à l’opération menée dans le métro parisien, Iberdrola n’exclut ainsi pas de réutiliser ces six « tourniquets-éoliennes » lors d’évènements tels que des salons et des festivals axés sur le thème de l’environnement. « Je pense que cette idée, à son niveau de prototype et d’opération événementielle, est aussi une manière de montrer que, partout autour de nous, il y a des énergies perdues. Peut-être qu’une des clés à l’avenir est d’essayer de les repérer et de les exploiter, et pas uniquement pour des raisons marketing. En tout cas, c’est aussi le message de ce projet », conclut Jean Paoli. Un message qui résonne tout particulièrement à l’heure où une véritable crise énergétique frappe l’Europe et le monde.